Beaucoup l'étaient en commun : exploitation de la forêt communale (la coupe), labours, bêchage de la vigne, portage de la terre, foins, moissons, vendanges, etc. … Parmi tous ces travaux longs et variés, le transport des récoltes, des bois, de la terre, du fumier représentait une grande part du temps de travail du paysan.
D'abord, les chemins étaient, pour les meilleurs, seulement empierrés et les revêtements goudronnés étant inconnus, leur entretien, surtout pour les chemins pentus, ravinés par les pluies, était difficile. La plupart des champs étaient desservis par des chemins de terre, "les charretières". Les seuls moyens de transport étaient les chariots avec roues à bandage et surtout les moyens de traction étaient faibles ; la majorité des paysans ne possédait que trois à quatre vaches … et pas toujours.
C'était donc ces bêtes qu'on attelait à une charrette au moyen de deux jougs car, contrairement aux bœufs qui ne portent qu'un joug, la force de tête des vaches n'est pas suffisante, deux jougs sont nécessaires : un joug de tête et un joug de cou, celui-ci prenant appui sur la nuque.
Il faut souligner que les vaches ne pouvaient pas être attelées à certaines périodes de leur vie : sitôt après le vêlage, pendant l'allaitement et en fin de gestation pour éviter un avortement. D'ailleurs, ces bêtes lorsqu'elles devaient fournir un gros effort ne donnaient que très peu de lait. Ainsi, bien des petites exploitations qui comptaient 3 à 4 vaches, se trouvaient sans moyen de traction à certains moments parce que plusieurs vaches étaient pleines ou fraîchement vêlées en même temps.
Donc, à cause des chemins pas toujours en bon état, de mauvais chemins de terre, des moyens de traction faibles et très lents, les charges transportées étaient faibles et le temps de transport considérable surtout si les champs étaient éloignés de la ferme. De rares exploitations possédaient une paire de bœufs, cela avait deux avantages ; il était possible d'effectuer un labour, alors que pour ce même travail, 4 vaches étaient nécessaires ; la charge tirée par deux bœufs pouvait être le triple de celle tirée par deux vaches. A Sevrier, il ne faut pas oublier que le côté nord est très resserré entre le lac et la montagne ; de plus, toute cette partie en pente était, au début du siècle, couverte de vigne.
Vivant en cercle fermé, il y avait pour chaque famille, une nécessité absolue d'avoir des parcelles labourables, qui se trouvaient plus au sud. Les habitants des villages de Chuguet, Letraz, le Crêt et même du chef-lieu, possédaient tous des terrains situés vers la Planche, le Brouillet et même Cessenaz. La presque totalité de la plaine des Mongets appartenait aux gens des hameaux du nord. Ces terres étant très éloignées de leurs fermes, ces paysans commencèrent à utiliser le cheval comme moyen de traction ; celui-ci ayant une marche beaucoup plus rapide que les bœufs ou les vaches ; attelé à une charrette, il peut même trotter ; avec un cheval le temps de transport est réduit. Ainsi, l'utilisation du cheval, s'est d'abord développée, au nord, ou dans les fermes dont les parcelles étaient éloignées, bien sûr, suivant les possibilités financières de l'exploitation ; l'achat d'un cheval était une lourde charge et la perte, quelquefois, une vraie calamité pour le paysan. A cette époque où les possibilités de soins étaient limitées, la mort d'un cheval n'était pas rare : tétanos à la moindre blessure, souvent inaperçue, ou maux de ventre, occlusion intestinale. .. Dans chaque ferme, le cheval, achat très lourd, animal indispensable et délicat, était l'objet de soins très attentifs. Des langues très déliées, sinon mauvaises, laissaient entendre que certains se souciaient plus de la santé de leur cheval que de celle de leur ….. épouse ! …
Le souci d'économiser le temps passé sur les routes, générait quelques pratiques assez curieuses au premier abord. Pour le transport des récoltes, du fumier, les exploitants des hameaux du nord dont la plupart des champs se trouvait vers la Planche, le Brouillet, les Mongets, utilisaient toujours à chaque déplacement, deux chariots accrochés l'un derrière l'autre et traînés par un seul cheval. Cette façon de procéder intriguait les passants surpris et étonnés. La première remarque à faire est que ce secteur est à peu près plat, sans côtes raides ou longues. Sur la route nationale, sans aucune voiture automobile à cette époque, les chariots roulaient facilement.
Lorsque les paysans des hameaux du nord transportaient dans leurs champs éloignés, le fumier, seul engrais massivement utilisé, le cheval pouvait raisonnablement traîner sur la route un char contenant un mètre cube de fumier ; mais lorsque ce char arrivait sur le champ, surtout si la terre était meuble, celui-ci, avec des roues à bandages étroits, s'enfonçait aussitôt et il fallait décharger le fumier au bord du terrain et le reprendre une deuxième fois en petite quantité. Pour éviter ce travail inutile, on chargeait deux charrettes d'un demi-mètre cube chacune, attachées l'une derrière l'autre ; arrivées au bord du champ, les charrettes étaient désaccouplées et le cheval pouvait tirer le char avec un demi chargement, jusqu'à l'intérieur de la parcelle, au bon endroit. La première charrette déchargée, le cheval était dételé et remis à l'autre char pour le second déchargement. Pour les récoltes, en particulier les gerbes de blé, les betteraves fourragères, le foin, on procédait de la même façon pour le transport de la récolte à la ferme. Ceci afin d'économiser le temps consacré au transport. Cette méthode n'était valable que pour les parcelles éloignées de la maison, à condition que le trajet se fasse sur une route empierrée en bon état, sans côtes prononcées.
Le bois de chauffage ou les grumes du plateau du Semnoz, de la forêt communale, exploités par les sevriolains étaient évacués uniquement par la route départementale qui aboutit aux Marquisats, vers l'hôpital d'Annecy. Depuis Sevrier, un trajet en forêt communale, avec l'aller, le débardage, le chargement, le retour, demandait en moyenne 10 à 12 heures, sinon plus, pour les habitants de la Planche ou Cessenaz. Le départ de la ferme et l'aller se faisaient toujours de nuit. Il fallait arriver sur le lieu de chargement à la levée du jour. Le débardage effectué en traînant les troncs, de l'endroit d'abattage à la route, on chargeait le chariot au maximum de sa capacité.
Depuis la forêt jusqu'à Annecy, la route étant en pente régulière, le problème de traction ne se posait pas, puisqu'il était nécessaire de freiner constamment. Par contre, sur la partie du trajet Annecy-Sevrier, il y avait la "côte" de Beau Rivage. Il n'était pas possible à un cheval de gravir cette "montée" apparemment insignifiante, avec un chariot lourdement chargé. Là encore, la difficulté était résolue par le travail en commun. Le transport du bois se faisait très souvent à plusieurs, entre voisins. D'abord, le chargement des lourds troncs était facilité. En cas d'accident, il y avait une assistance ou un soutien possible ; et pour franchir la "côte" de Beau Rivage, on laissait un chariot au bord de la route. A l'époque, il n'y avait aucun problème de circulation et l'hiver, l'hôtel était fermé. On dételait un cheval qui était placé "en flèche" devant l'autre et la côte était gravie facilement, avec deux chevaux par chariot. Au sommet de la montée, au Bessard, le premier char était placé en attente pendant que les deux chevaux allaient chercher l'autre chargement resté au bas. On estimait économiser un "voyage" sur trois par cette méthode d'ailleurs souvent utilisée pour d'autres transports, en d'autres lieux.
Très rares étaient à Sevrier les exploitations agricoles qui possédaient deux chevaux. En plus de la traction des charrettes, les chevaux étaient indispensables pour les labours qui exigeaient au minimum deux bêtes. Il était donc impossible de labourer sans entente avec un voisin. Mais il fallait que, non seulement, les hommes s'accordent mais aussi que les deux chevaux s'acceptent et se connaissent, sinon on risquait qu'ils se battent. Il était aussi nécessaire d'atteler de front deux animaux de même poids, de même force et de même vivacité.
Les labours se faisaient pour ces raisons, toujours entre les deux mêmes exploitations et les mêmes chevaux ; car ceux-ci s'étant "connus" et acceptés une première fois, il n'y avait jamais plus le moindre problème ; il suffisait qu'à chaque rencontre, les deux animaux puissent se flairer quelques secondes.
Cette méthode de labours en commun s'appelait "faire charrue". Il faut signaler que l'utilisation des chevaux de labour a été favorisée par l'apparition, au début du siècle des charrues "brabant" réversibles, beaucoup plus stables que les anciens araires. Encore était-il nécessaire que ces chevaux apprennent et utilisent "le pas de labour", allure beaucoup plus lente que sur la route. |