le chemin de Forbach
  • Peut être certains peuvent s'interroger devant ce nom "Chemin de Forbach" ?

"Chemin de Forbach", qui n'a pas de consonance savoyarde. Depuis fort longtemps, il y avait une ferme auberge au hameau de La Combe. La grande gentillesse des propriétaires "Les Richard", la simplicité et la chaleur de l'accueil avaient fait de cette petite ferme auberge, une espèce de maison commune, ouverte à tous et à toute heure, où les gens aimaient se rencontrer.

Toutes les occasions étaient bonnes pour se retrouver "chez la Fanchette", prénom de Madame Richard, la fermière. Même les annéciens ou des habitants des communes voisines en faisaient le but d'une sortie dominicale, ou aussi, d'un simple, mais plantureux repas.  

 

repas à Forbach en août 1900 

Devant la Croix du hameau de la Combe

Fanchette (à gauche) avec ses voisins en 1921

Il faut signaler une pratique peu compréhensible de nos jours, mais courante aux temps anciens, qui consistait pour un repas de groupe à mettre en bout de table, sur un chevalet, un tonnelet muni d'un robinet, rempli de vin du pays, d'une contenance en rapport avec le nombre de convives, contenance largement calculée.
Un grand pot facilitait le service assuré par les participants eux-mêmes.
Et on quittait l'auberge, bien souvent tard le soir, seulement lorsque le tonnelet était vide.
Quand les clients étaient nombreux, on mettait les uns dans la petite salle commune, d'autres dans la grange ou en plein air par beau temps.
Et la bonne humeur et une chaude ambiance, ne manquaient pas. Mais si le vin réjouit le cœur de l'homme, il arrive que pour de rares individus, il rende plutôt agressif.
C'est ce qui s'est produit un beau dimanche après-midi.
Pour un motif futile, un sevriolain pointilleux et un saint-jorien excité, ont d'abord échangé des propos qui n'étaient pas d'une politesse exquise, avant d'échanger……..des coups de poings.
Le code de l'honneur faisant à chacun un devoir sacré, d'aider son ami et de défendre la réputation de son clocher, en peu de temps l'empoignade devint générale.
Bien sûr, de sages messieurs, de nombreuses dames, essayèrent d'éviter les hostilités, mais en vain ; le seul résultat de cette démarche fut que "l'explication" eut lieu dans la cour de l'auberge.
Et n'ayant pu sauver la paix, ces braves s'installèrent à bonne distance du champ de bataille pour contempler ce qu'aujourd'hui on appellerait : "un match".
Et de sérieux personnages se découvrirent soudain des talents d'arbitre …. et comptèrent les coups.
On applaudissait quand un adversaire mordait la poussière, on soupirait quand c'était un membre de l'équipe amie.
De temps en temps, un combattant quittait la mêlée pour reprendre souffle, ou boire un coup pour retrouver de l'ardeur ! …
Dans la confusion générale, bien malin celui qui aurait pu dire, qui donnait les coups, qui les recevait, ami ou adversaire.
Toute chose a une fin ....bonne ou mauvaise
Et le combat enfin cessa …. faute de combattants ; tous morts ….. de fatigue ou blessés …. légèrement.
Mais l'honneur était sauf ; les arbitres, après de laborieuses discussions avaient conclu sans appel : match nul - dix à dix.
Les spectatrices, charitables, se muèrent en infirmière, laver un nez ensanglanté, mettre une compresse d'eau froide sur une bosse au front, désinfecter avec de la goutte (alcool), une balafre.
Même une couturière a été requise pour recoudre provisoirement, sur le blessé même, un pantalon dont l'ample déchirure laissait contempler à loisir, l'anatomie intime du propriétaire.
Certains insinuèrent même, sans doute des langues trop déliées, que la vieille demoiselle qui était chaste, dévote et très pudique, de peur de commettre un péché de "regard impur" fermait plutôt les yeux pendant l'opération, de sorte que l'aiguille rencontrant quelquefois la partie charnue du jeune combattant, celui-ci était autant blessé….. à l'arrière par l'aiguille, qu'à l'avant par la bagarre. Est-ce vrai ? ?
Et l'on se sépara.
Les spectateurs, en leur for intérieur, plutôt satisfaits.
Les combattants, sans haine ni rancune, mais tous gardant un souvenir impérissable de cette grandiose bataille.
Et deux messieurs se souvenant de la bataille de Forbach*, à laquelle ils avaient effectivement pris part lors de la guerre franco-allemande de 1870, s'écrièrent : "sacré Nom, c'était pire qu'à Forbach" et la ferme auberge "chez la Fanchette" changea de nom dans l'appellation populaire. Et quand en 1975, sous l'urbanisation rapide de Sevrier, la municipalité de l'époque décida de mettre un numéro à chaque maison et un nom à chaque rue, en souvenir de cette accueillante et délicieuse petite auberge, si chère au cœur des vieux sevriolains et aujourd'hui disparue et pour en garder la mémoire, on rendit officiel le nom du chemin qui menait à cette célèbre ferme auberge "Chemin de Forbach".

Auteur de ce récit : Henri GURRET

Transciption : Monique LAMY

Illustration : André PERROT

(*)Forbach en Moselle
Défaite du Général Frossard
6 août 1870
 
 
 
 
 
Lieudit en 2005