Le premier dimanche de Mai 1880 M. l'Abbé Pinget, curé de Sevrier, annonça du haut de la chaire :
"Dimanche prochain, après vêpres, procession solennelle et bénédiction de l'oratoire édifié en l'honneur de la Sainte Vierge, au-dessus du hameau de la Combe ".
Il semble bien que cette annonce retrouvée dans les archives paroissiales, désigne l'édifice que nos anciens appelaient "La vieille grotte" construite vers 1875-1879 près du sommet de la colline de Chantemerle.
Actuellement, au début de l'an 2000 on peut encore découvrir cette construction assez bien conservée (seule la croix sommitale et les deux statues ont disparu), située sur le petit sentier qui part à droite du "chemin des chalets" en direction du crêt de Chantemerle.
Dans les années qui suivent cette annonce de Mai 1880, on ne trouve plus dans les archives paroissiales d'informations officielles sur d'éventuelles processions à cette grotte.
Ont-elles eu lieu sans être annoncées ?
C'est peu probable…
Les annonces n'ont-elles pas été inscrites sur un livre ?
C'est possible…
Ont-elles été supprimées ?
Il faut savoir pour comprendre, que dans la période troublée de la Révolution, avaient lieu quelquefois, sur la colline de Chantemerle, des offices religieux clandestins, parce que de ce secteur, des guetteurs pouvaient très facilement surveiller tous les accès.
A cause de cela, par la suite, le calme revenu, les sevriolains ont gardé un certain attachement à cet endroit qui possède encore quelques traces de ces rassemblements clandestins (niche d'une statue et croix creusée sur le rocher qui servait d'autel).
C'est le souvenir des événements passés et l'attachement des habitants à ce lieu qui sont la raison de la construction de la grotte à cet endroit malgré l'éloignement de l'église et la difficulté d'accès.
Si on ne peut être affirmatif sur les raisons de l'abandon progressif des processions à cet oratoire, n'ayant pas trouvé de documents d'époque sur ce sujet, il semble que l'on puisse sérieusement penser, en s'appuyant sur l'histoire orale, c'est à dire, les récits des personnes âgées aujourd'hui décédées, qu'il y ait trois raisons principales :
- la première est la distance par rapport à l'église et la grande pente du chemin en fin de parcours ;
- la seconde est l'étroitesse du sentier qui ne permet pas le passage de deux personnes de front et de fait occasionne un cortège très long ;
- la troisième est l'absence de surface suffisante pour faire une plate-forme pouvant accueillir tous les participants.
A cette époque, le vignoble couvrait la totalité de la colline et seuls, d'étroits sentiers (passages à talons) en permettaient l'exploitation, qui était faite entièrement à dos d'homme.
De même, lors de la construction de cette grotte, tous les matériaux nécessaires ont été apportés sur le dos avec des hottes " les bènètes " par des bénévoles.
Etant jeune, j'ai bien souvent entendu des "anciens", cette version taquine, que je livre telle quelle, et qui n'est peut-être pas totalement fausse.
Sur le chemin conduisant à la grotte et emprunté par la procession se trouvait une ferme auberge, bien accueillante, beaucoup appréciée, très fréquentée par tous les habitants, "A Forbach"
Le jour de la procession, au départ de l'église certains s'arrangeaient pour être en fin de cortège et, arrivés devant " A Forbach " ils se trouvaient subitement essoufflés, incapables de monter à la grotte et, avec grande tristesse disaient-ils, obligés de s'asseoir… à l'accueillante auberge !…
Et comme le nombre "d'essoufflés" augmentait d'année en année, le nombre de présents à la grotte diminuait, au désespoir de M. le curé et surtout à la fureur des épouses.
Je vous laisse le soin de conclure…
Me permettra-t-on de terminer ce récit sur un ton comique, en toute simplicité, et toujours d'après les récits de nos grands parents ?
Il y avait à l'époque un sacristain qui comme presque toutes les familles de Sevrier, portait sans la moindre gêne à cause des homonymies, un surnom. C'était "le Noune".
Lors des processions le "Noune" faisait son possible pour que l'ordre et le bon déroulement soient respectés. Mais pour monter à Chantemerle la distance était grande et le sentier très pentu.
Et le pauvre homme déjà âgé, ne pouvait pas suivre les enfants en tête du cortège. Il voyait la procession se scinder en plusieurs groupes.
Malgré ses efforts, en queue de procession, grognon il hurlait en patois :
" A lâ plan z'infan, cré nom, la prossèchon s'décape, apoé mo agassins me fon mâ "
(Allez doucement les enfants, sacré nom la procession se coupe et mes cors aux pieds me font souffrir).
Les matériaux, pierres de rivières ou blocs calcaires du Semnoz ont été acheminés par chariots, ainsi que le sable qui était extrait d'une petite carrière toute proche devenue aujourd'hui, aire de retournement de voitures, située immédiatement au nord du complexe d'animation de la commune de Sevrier.
Ces transports ont été effectués bénévolement, au fur et à mesure des besoins par les paysans du secteur qui possédaient un attelage.
Il est fort probable que la chaux hydraulique provenait des fours à chaux du village de La Combe ; il reste un léger doute à ce sujet puisque aucune facture n'a été retrouvée dans les archives. A moins que cette chaux n'ait été cédée gratuitement par la famille Garcin, propriétaire des fours, ou réglée au détail sans factures.
D'après les témoignages des personnes ayant pris part aux travaux, et qui sont aujourd'hui disparues, c'est l'abbé Chapuis qui, aidé de nombreux volontaires, a non seulement gâché le mortier, mais a lui-même fait les plans et dirigé la construction.
Les statues de la Vierge, de Bernadette, en fonte coulée et la couronne de Marie en cuivre fondu, ont été fabriquées à Paris par la Maison Raffl, spécialisée dans la confection de chemins de croix, de décorations d'églises ou de statues.
Les deux statues, la couronne et le transport ont été facturés le 14 juin 1898 pour la somme de 607,80 F.La grille et la porte en fer forgé ont été construites par M. Lacroix, serrurier dont l'atelier était à Annecy, mais qui habitait Sevrier.D'ailleurs, c'est M. Lacroix qui avait la charge de l'entretien et de la réparation des serrures des édifices paroissiaux.Aucun document officiel se rapportant directement à l'inauguration de la grotte le 12 août 1900, n'a été retrouvé à la paroisse.Par contre, des écrits de particuliers sont connus, entre autres un poème ou un cantique, en l'honneur de la Sainte Vierge et en hommage à ceux qui ont travaillé à l'édification de la grotte, écrit en juillet 1900 par le Père Delétraz, ancien curé des Clefs, en retraite à Sevrier d'où il était originaire et où il est décédé en 1906 âgé de 86 ans.D'autre part, les journaux de l'époque, entre autre "La croix de la Haute-Savoie" du 8 août 1900 et l'indicateur de la Haute-Savoie du 18 août 1900(1) ont relaté la grande fête d'inauguration de la grotte. (Le poème de l'inauguration.)
(1) brochure départementale
Après son départ de Sevrier où il est resté 15 ans et sa nomination comme curé de la Balme-de-Thuy, le père Chapuis fit bénéficier sa nouvelle paroisse de ses nombreux talents.
De nouveau, il construisit lui même la Grotte de Notre Dame de Lourdes au bord de la route qui va du pont de Morette au chef lieu de la Balme-de-Thuy ; Grotte, aujourd'hui bien entretenue et très facilement accessible en voiture.
A Annecy, avenue de Cran dans le clos du couvent des Capucins existe une grotte de Notre Dame de Lourdes qui est aussi l'œuvre du père Chapuis.
D'autre part, une ingénieuse crèche animée créée de toutes pièces par le père Chapuis attira un grand nombre de curieux et suscita l'admiration partout où elle était exposée.
M. l'abbé Pierre Chapuis est mort dans sa paroisse de la Balme-de-Thuy en 1941 où il est enterré et où il n'a laissé que des regrets.
A Sevrier, depuis sa construction, la grotte de Notre Dame de Lourdes a rassemblé les paroissiens trois fois par an avec processions solennelles depuis l'église, aller et retour, après les vêpres :
- le premier dimanche de mai
- le 15 août Fête de l'Assomption avec la participation de la fanfare
" l'Echo de Chantemerle "
- le 1 er dimanche d'octobre pour la Fête du Rosaire.
Ces processions en cortège, départ de l'église et retour, ont été supprimées en 1950 à cause de la dangereuse traversée de la route nationale. Par la suite les rassemblements ont eu lieu directement sur l'esplanade.
Entre 1960 et 1973, à l'initiative de M. le curé Longet, avait lieu à la grotte, l'après-midi du jour de la Communion Solennelle, le rassemblement de tous les communiants, de leurs familles et des paroissiens pour la consécration de la Vierge.
Actuellement, pour la fête de l'Assomption c'est la messe solennelle qui a lieu, non à l'église, mais à la grotte de Sevrier.
Il faut noter que pendant la période de 1900 à 1914, le jeudi, jour même de la Fête Dieu, la messe était célébrée à la grotte. Mais la Fête Solennelle de la Fête Dieu, avec procession, soit au Crêt soit à la Combe alternativement, était reportée au dimanche suivant.
On ne peut terminer l'historique de la grotte de Notre Dame de Lourdes de Sevrier sans un mot de reconnaissance à la mémoire de l'abbé Pierre Chapuis et du père Charles Longet décédé en 1991 curé de Sevrier de 1945 à 1973 ; ainsi qu'à celle de M. Falconnet François du chef lieu, décédé en 1972 et de son épouse née Julie Lavorel décédée en 1991 et tous trois sépulturés à Sevrier.
Avec un remarquable et méritoire souci du bien commun M. le curé Longet a obtenu pour la paroisse de la part de M. et Mme Falconnet, le don généreux et désintéressé de la parcelle de terre située devant la grotte pour éviter la construction possible d'un bâtiment qui aurait masqué la vue très appréciée, sur le lac.
Un acte légal et notarié a été signé le 14 février 1969
Henri GURRET
(mars 2000)
- Chronologie des grottes de notre Dame de Lourdes
1er dimanche de mai 1880
Procession et bénédiction de l'oratoire édifié en l'honneur de la Sainte Vierge au- dessus du village de la Combe
Ensuite aucun document ne mentionne d'autres processions - Pourquoi ?
D'après le témoignage de nos anciens il semble qu'il y ait trois raisons :
- difficultés d'accès,
- éloignement de l'église,
- manque de place sur la petite terrasse et peut-être ? arrêt à Forbach.
3 octobre 1891
Arrivée à Sevrier comme vicaire-régent de M. l'abbé Pierre Chapuis, nouvellement ordonné, originaire des Allinges.
Très habile en travaux manuels, maçonnerie, horlogerie, mécanique, électricité et même astronomie.
D'une grande dévotion à la Sainte Vierge, il est l'initiateur de la construction d'une nouvelle grotte.
20 novembre 1898
Le curé de Sevrier M. Félicien Pinget achète au nom de la paroisse une parcelle de châtaigneraie aux consorts Falconnet François et Nicolas, du chef lieu et une source située au-dessus, aux consorts Richard Jean et Joseph de la Combe.
1898-1899
Construction de la grotte avec le concours de nombreux bénévoles sous la conduite de M. l'abbé Chapuis.
Les statues de la Sainte Vierge avec la couronne en cuivre et de Bernadette, ont été fournies par la maison Raffl de Paris, fabrique de statues, chemins de croix, décorations d'églises, le 14 juin 1898 pour la somme de 607,80 F.
La grille de fer forgé ainsi que le portail ont été fournis par M. Lacroix serrurier à Annecy mais habitant Sevrier, et qui travaillait pour la paroisse.
Le sable a été extrait d'une petite carrière, devenue par la suite l'aire de retournement des voitures, au nord du complexe d'animation de la commune de Sevrier. Aucune facture de la chaux n'a été trouvée aux archives paroissiales.
La chaux a-t-elle été fournie gratuitement par les Ets Garcin, propriétaires et exploitants des fours à chaux de la Combe ? ou a-t-elle été réglée sans facture, au détail, au fur et à mesure, au départ des fours à chaux ?
Une lettre de Melle Félicie Falconnet, qui sera plus tard sœur Evodie du couvent St Joseph, adressée à son frère, reproduit intégralement l'article du journal "l'indicateur de Savoie" du 18 août 1900.
Melle Falconnet précise que la fête d'inauguration du dimanche 12 août 1900 a été refaite trois jours plus tard pour le 15 août 1900.
M. le curé Delétraz, ancien curé des Clefs, en retraite à la Combe, a écrit à cette occasion, un poème ou un cantique retrouvé dans les archives paroissiales.Est-ce lui, ce vieillard de 86 ans, qui a réglé la moitié des dépenses de la construction de la grotte ? C'est possible.L'abbé Chapuis est l'auteur de la grotte du clos des Capucins et de celle de la Balme-de-Thuy
Auteur de ce récit : Henri GURRET
Transciption : Monique LAMY
Illustration : André PERROT